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Marx : une conception matérialiste du racisme
Par Florian Gulli

Marx propose une analyse matérialiste du racisme en trois temps. Pour comprendre le racisme, il faut d’abord partir de la matérialité du social et non de la conscience. Le racisme naît dans des situations de conflits : guerre, expansion coloniale, concurrence dans les classes populaires consécutive aux migrations, tensions générées par les ségrégations urbaines imposées aux fractions racialisées des classes populaires, etc. Le racisme est une idéologie, c’est-à-dire une interprétation erronée de la situation conflictuelle, attribuant les problèmes vécus à de supposées qualités négatives intrinsèques à un groupe, interprétation qui s’accompagne d’une série d’affects mêlant haine et mépris.

Marx insiste ensuite sur le fait que le racisme peut apporter à une partie des ouvriers une sorte de consolation psychologique, à l’instar des idées religieuses. L’ouvrier est dominé, méprisé, mais le racisme semble le rétablir dans sa dignité en lui faisant se sentir « membre de la nation dominante ».

Dernier point, enfin, le rôle joué par la classe dominante. Cette dernière, par l’intermédiaire de ses organes de presse, jette de l’huile sur le feu. Elle utilise le racisme pour diviser les travailleurs. Marx ne dit pas que le racisme résulte d’une conspiration de la bourgeoisie ni qu’il est fabriqué par ceux d’en haut. La classe dominante instrumentalise un racisme qui la précède. Elle voit en lui un moyen de se maintenir au pouvoir en divisant les travailleurs.

Quels sont les enjeux de cette analyse ? 1) Elle permet de faire la critique des approches idéalistes qui associent le racisme à l’étroitesse d’esprit de ceux d’en bas, en proie à toute sorte de phobies et de paniques, dessinant en creux l’image d’une élite antiraciste protégeant les institutions contre la populace (ce que Bourdieu nommait le « racisme de l’intelligence »). Dans ces conditions, la lutte antiraciste devient essentiellement pédagogique : exposition dans les écoles, cours d’éducation civique, publication d’ouvrages sur l’histoire du racisme, etc. L’approche matérialiste, de son côté, sans exclure le travail sur les représentations, vise d’abord à transformer les situations réelles qui nourrissent le racisme : ségrégations urbaines, inégalités de statut entre travailleurs, pénurie d’emplois et de logements, etc. 2) Le discours raciste est efficace parce qu’il s’adresse à la fierté de ceux qui sont méprisés. Il serait totalement contre-productif de lutter contre lui aux moyens d’affects tels que la culpabilité ou la honte de soi. La seule option est de mobiliser des formes de fierté alternatives à celles proposées par l’extrême-droite et qui soient susceptibles de parler à toutes les fractions des classes populaires. 3) La lutte contre le racisme est bien une lutte centrale puisque il est une puissance de division qui compromet l’émergence du « mouvement de l’immense majorité au profit de l’immense majorité ».

Texte paru dans L’Humanité, février 20223.


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