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Miguel de Unamuno répond au "Viva la muerte !" franquiste
12 octobre 1936, Salamanque

Le philosophe basque Miguel de Unamuno était recteur de l’Université de Salamanque quand éclata la rébellion militaire en juillet 1936. D’abord favorable au mouvement phalangiste, l’opinion d’Unamuno évolua au cours des premiers mois. Il prit en horreur, selon ses propres termes, "le tour que prenait cette guerre civile, vraiment horrible, du fait d’une maladie mentale collective, une épidémie de folie, avec un fond pathologique". Le 12 octobre 1936, "Jour de la Race", une cérémonie eut lieu dans le grand amphithéâtre de l’Université de Salamanque, en zone nationaliste. Voici le récit qu’en fait l’historien Hugh Thomas dans La Guerre d’Espagne (Ed. R. Laffont)

Il y avait là, le Docteur Pla y Deniel, évêque de Salamanque, et le général Millan Astray, le fondateur de la Légion Etrangère, qui était à l’époque un conseiller très écouté de Franco, même si à titre non officiel. Son bandeau noir sur l’oeil, son bras unique, ses doigts mutilés, faisaient de lui un héros du moment ; quant au fauteuil de la présidence, il était occupé par Unamuno, le recteur de l’Université. Cette réunion se tenait à moins d’une centaine de mètres du quartier général de Franco, installé depuis peu dans le palais épiscopal de Salamanque, sur l’invitation du prélat. La cérémonie d’ouverture fut suivie de discours (...). Au fond de l’amphithéâtre, quelqu’un lança la devise de la Légion Etrangère : "Viva la Muerte !" Alors, Millan Astray cria son habituel mot d’ordre pour exciter la populace : "Espagne !". Un certain nombre de gens répondirent : "Une !". Il reprit : "Espagne !". "Grande !" fit en choeur l’assistance. Mais, quand Millan Astray poussa son dernier "Espagne !", ses gardes du corps hurlèrent "Libre !". Quelques phalangistes en chemises bleues firent le salut fasciste devant la photographie sépia de Franco, accrochée au dais au-dessus de l’estrade. Tous les yeux étaient maintenant fixés sur Unamuno, qui, ce n’était un mystère pour personne, haïssait Millan Astray, et qui se leva pour prononcer le discours de clôture. Il déclara :
"Vous attendez tous ce que je vais dire. Vous me connaissez et savez que je ne peux garder le silence. Il y a des circonstances où se taire, c’est mentir. Car le silence peut être interprété comme un acquiescement. Je voudrais ajouter quelque chose au discours - si l’on peut ainsi l’appeler - du professeur Maldonado. Ne parlons pas de l’affront personnel que m’a fait sa violente vitupération contre les Basques et les Catalans. Je suis moi-même né à Bilbao. L’évêque (Unamuno désigna le prélat tremblant assis près de lui), que cela lui plaise ou non, est un catalan de Barcelone."

"Je viens d’entendre un cri nécrophile et insensé : Vive la Mort ! Et moi, qui ai passé ma vie à façonner des paradoxes qui ont soulevé l’irritation de ceux qui ne les comprenaient pas, je dois vous dire en ma qualité d’expert, que ce paradoxe barbare est pour moi répugnant. Le général Millan Astray est un infirme. Disons-le sans arrière-pensée discourtoise. Il est invalide de guerre. Cervantes l’était aussi. Malheureusement, il y a aujourd’hui en Espagne, beaucoup trop d’infirmes. Et il y en aura bientôt encore plus, si Dieu ne nous vient pas en aide. Je souffre à la pensée que le général Millan Astray pourrait établir les bases d’une psychologie de masse. Un infirme qui n’a pas la grandeur spirituelle d’un Cervantes recherche habituellement son soulagement dans les mutilations qu’il peut faire subir autour de lui."

A ces mots Millan Astray n’y tint plus. "Mort aux intellectuels, s’écria-t-il, viva la muerte !". Une clameur l’assura du soutien des phalangistes (...). "A bas les intellectuels hypocrites ! Traîtres ! " s’exclama José Maria Perman (...). Unamuno poursuivit : "Cette université est le temple de l’intelligence. Et je suis son grand prêtre. C’est vous qui profanez cette enceinte sacrée. Vous vaincrez parce que vous possédez plus de force brutale qu’il n’en faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car, pour convaincre, il faudrait que vous ayez des arguments. Or, pour cela, il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la Raison et le Droit avec vous. Je considère comme inutile de vous exhorter à penser à l’Espagne. J’ai terminé."

Il y eut un long silence. Autour de la tribune, des légionnaires menaçants commencèrent à se resserrer autour de Millan Astray. Son garde du corps braqua son fusil-mitrailleur sur Unamuno. C’est alors que la femme de Franco, Dona Carmen, vint au-devant d’Unamuno et de Millan Astray, et pria le recteur de lui donner le bras, ce qu’il fit, et ensemble, ils se retirèrent discrètement. Ce devait cependant être l’ultime allocution publique d’Unamuno. (...)

Le conseil de l’Université "demanda" et obtint sa révocation du rectorat. Unamuno mourut le coeur brisé, le dernier jour de 1936.

Texte repris du site http://espana36.voila.net/articles/unamu.htm


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