Les souvenirs d’Ivan Maïski viennent d’être réédités aux éditions delga. Maïski fut ambassadeur de l’Union Soviétique à Londres de 1932 à 1943. Il est aux premières loges de la construction de la politique d’appeasement mise en œuvre par les Chamberlain, Bladwin et leurs complices.
Maïski raconte avec le style de l’époque - il écrit et publie ces souvenirs en 1962 - comment la bourgeoisie anglaise choisit une politique pro allemande plutôt que de travailler à un pacte avec l’URSS. La haine de classe semble surprendre même l’auteur, tant elle paraît à rebours du bon sens. Mais, les intérêts, le culte de l’homme fort, le choix du nazisme découlent d’une logique politique et sociale. Il ne restera plus à cette bourgeoisie, au lendemain de la victoire des alliés sur le nazisme, qu’à tordre le cou à certaines vérités, à distordre la réalité pour masquer ses choix. Ce petit livre étaie fort judicieusement les efforts des historiens pour rétablir la vérité [1].
Rappelons la logique qui prévalait à l’époque chez les conservateurs britanniques auxquels les Daladier, Bonnet emboitèrent allègrement le pas. Les éructations d’Hitler, sa politique de réarmement, son anticommunisme viscéral leur convenaient. Leur calcul était simple, voir simpliste : les Allemands attaqueront l’URSS, liquideront éventuellement ce pays mais en sortiront très affaiblis. Alors les puissances occidentales seront en position d’arbitre. Ce calcul sordide oublie de s’appuyer sur une réalité connue de tous les lecteurs de Mein Kampf depuis 1924 : Hitler veut se venger de la France qu’il exècre, veut la revanche de 14/18, et ensuite il mettra en œuvre le dessein des annexions à l‘Est. Il ne veut pas de guerre contre l’Angleterre, ce qui leurre peut-être les dirigeants britanniques pour un temps, qui, pensent pouvoir s’accommoder de sa politique d’annexion.
Maïski raconte les péripéties d’accords économiques, de parlottes interminables pour éviter de parler de l’essentiel : un pacte tripartite avec la France et l’URSS pour se protéger des velléités nazies. Les souvenirs de l’auteur permettent d’affiner notre regard sur l’affaire du pacte germano-soviétique. On sait maintenant que celui-ci a été le résultat de la politique française et anglaise qui retournant les alliances ne laissaient pas d’autres possibilités aux Soviétiques que de s’entendre avec leur ennemi mortel. On peut regretter que ces passages soient défensifs alors que la force des preuves et des arguments permet d’être très affirmatif. Il est vrai que ce pacte depuis 1939 fait l’objet d’une bataille idéologique extrêmement aigue, car au centre des choix de la bourgeoisie et du patronat. Néanmoins ce livre est à resituer dans son époque, 1962. C’est la crise des missiles avec Cuba, l’année précédente est celle du débarquement manqué des américains à la Baie des Cochons, bref la crise est dangereuse. L’auteur, en diplomate, ne veut pas en rajouter, il tait les manœuvres de Kennedy père, ambassadeur US à Londres, pronazi convaincu ; il épargne les Etats-Unis et Eisenhower.
Cela étant, voici un livre instructif, d’une écriture alerte, mais elle aussi datée. On peut regretter que la maison d’édition, qui a le courage de publier un tel ouvrage, n’ait pas pris le soin de proposer une introduction au lecteur. Nul n’est parfait.
Qui aidait Hitler ? Ivan Maiski. Editions Delga. 18 euros
Philippe Pivion vient de publier Le livre des trahisons. Le crépuscule des officiers prussiens. Roman publié au Cherche-Midi.
[1] Par exemple : L’entente Chamberlain Hitler, de Clément Leibovitz, éditions L’harmattan, et Le choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Annie Lacroix-Riz, Armand Colin. A lire également parmi les nombreux témoignages : La Victoire de 8 novembre 1942 : La Résistance et le débarquement des Alliés à Alger de José Aboulker