Dans son dernier ouvrage, le philosophe Thierry Paquot interroge l’habitabilité du monde et promeut de nouveaux rapports aux territoires.
Productivisme et consumérisme impliquent un rapport particulier au territoire, dont les métropoles densément peuplées sont sans doute la manifestation la plus évidente. Dès lors, sortir de l’actuelle économie de croissance illimitée suppose aussi le retour à des villes de taille modeste. Le philosophe Thierry Paquot rappelle la formule d’Aristote : « dix hommes ne sauraient faire une cité, mais dix fois dix mille n’en seraient pas une non plus ». Partant, il s’agit de se mettre en quête de la juste mesure. Et c’est ce que tente cet essai aux multiples références. D’Aristote, on remonte à Platon, qui évaluait autour de 30 000 le nombre idéal d’habitants. De l’Utopie de Thomas More aux cités-jardins d’Ebenezer Howard, en passant par l’anarchisme de Kropotkine et les phalanstères de Fourier, ou encore, plus près de nous, le « municipalisme libertaire » de Murray Bookchin, c’est toute une histoire intellectuelle qui se voit re-visitée au prisme d’une réflexion sur l’organisation urbaine (et, plus généralement, territoriale) la plus adéquate au « bien vivre ». Or, celui-ci, et c’est en quelque sorte la leçon du livre, « se mesure en satisfaction vécue et non pas en quota et autres normes ». Autrement dit, la recherche de la « juste taille » des villes ne peut servir qu’à révéler l’inanité de toute approche qui resterait exclusivement centrée sur du quantitatif. L’enjeu véritable est qualitatif ; c’est l’habitabilité, entendue non pas simplement en termes d’aménagement des lieux, mais de présence au monde et aux autres. Est habitable la cité qui encourage le lien social, le partage et l’entraide. C’est dire, aussi, comme y insiste Thierry Paquot, que la territorialité est affaire de temporalité, de capacité à accueillir ou non une diversité de rythmes contre la course, frénétique et uniformisante, du marché global. Le point de vue adopté, celui d’une écologie politique de rupture avec le capitalisme, a ses points forts et ses limites. Si l’impact du « capitalisme post-industriel » sur les territoires est bien cerné dans sa double dimension, environnementale et sociale, pas sûr que la décentralisation promue par l’auteur soit une réponse à la hauteur de l’enjeu. Le lien postulé entre attachement au local et ouverture à autrui aurait mérité plus amples développements. L’esprit de village ne peut-il pas en effet se pervertir, parfois, en esprit de clocher ? Par ailleurs, l’abandon de l’Etat-nation au profit de « bio-régions » fédérées au niveau européen interpelle : on voit mal en quoi une telle option serait de nature à contrarier la globalisation capitaliste, qui consiste à détruire les droits sociaux historiquement cristallisés dans l’Etat-nation. Se projeter au-delà de ce dernier ne suppose-t-il pas d’en renforcer en même temps le versant progressiste ? C’est là un point aveugle de l’ouvrage, lequel demeure néanmoins stimulant dans son invitation à imaginer une « urbanité nouvelle », favorisant coopération et démocratie active.
Mesure et démesure des villes, de Thierry Paquot, CNRS éditions, 313 pages, 22 euros.