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Retraites : l’alibi démographique
Par Stéphane Jugnot

Le jour où l’Assemblée nationale adoptait définitivement la réforme des retraites, l’INSEE publiait ses nouvelles projections de population. Alors que l’argument démographique est au cœur des éléments de langage destinés à justifier l’urgence de la réforme, ce télescopage souligne combien le rapport de force a été préféré à la réflexion collective et à la concertation. Il est aussi l’occasion de rappeler le rôle de paravent de l’argument démographique.

Refus de la concertation, parce que la loi Fillon de 2003 avait prévu des rendez-vous réguliers pour accompagner l’allongement progressif de la durée de cotisation nécessaire à la perception d’une pension à taux plein. Le prochain était prévu pour 2012. A cet effet, le conseil d’orientation des retraites devait présenter un rapport. Nul doute que les projections démographiques que l’Insee vient de publier devaient l’alimenter, de même que les nouvelles projections de population active qui suivront prochainement. Il n’en sera rien, au nom de l’urgence de la réforme.
L’argument démographique est un paravent parce que la démographie est une réalité qui évolue souvent lentement. Aucune révolution démographique n’est intervenue depuis la réforme de 2003, que le ministre du travail de l’époque avait présenté comme une réforme financée. Actuellement, pour une personne âgée de 20 à 59 ans, on compte 0,4 personne âgée de 60 ans ou plus. En 2020, ce ratio sera de 0,5. Il sera de 0,7 en 2050. Ce ratio est le même que lors de l’exercice de projections précédent, publié en 2006. Il est même légèrement plus favorable que celui déduit de l’exercice de 2001, disponible lors de la réforme de 2003.

L’argument démographique n’est d’ailleurs plus de mise lorsqu’il s’agit de souligner que l’âge légal de départ à la retraite est plus élevé chez nos voisins. Pourtant, les situations démographiques sont aussi très différentes : le vieillissement de la population est beaucoup plus accentué dans de nombreux pays d’Europe. Selon les dernières projections d’Eurostat, pour 100 personnes de 25 à 59 ans, il y aura 72 personnes de 60 ans et plus en France à horizon 2050, contre une quarantaine actuellement. Ce seuil est inférieur à la moyenne européenne (80), notamment de l’Allemagne (85), l’Italie (95) et l’Espagne (98).

En janvier 2007, la candidat Nicolas Sarkozy avait déclaré que "le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer". Le 22 juin 2009, le président de la République annonce simultanément le lancement d’un grand emprunt national et une réforme des retraites en 2010. La chronologie vaut explication : la réforme ne vise pas à sauver le régime de retraite par répartition ; elle cherche à donner des gages sur la réduction des déficits publics qui ont explosé à la suite de la crise financière et du sauvetage du système bancaire.

Cet objectif explique la décision de jouer sur l’âge de départ à la retraite plutôt que sur la durée de cotisation et la décote, même si la combinaison de ces deux derniers leviers joue aussi sur l’âge de départ à la retraite. Pourtant ces deux leviers ont l’avantage de privilégier la liberté de choix individuel plutôt que l’autoritarisme d’une décision venue d’en haut, pour reprendre la dialectique utilisée pour remettre en cause les 35 heures. Ils sont plus justes socialement alors que le recul de l’âge légal de la retraite concerne de fait surtout les catégories sociales les moins favorisées, entrées plus tôt sur le marché du travail.

Mais jouer sur l’âge de départ à la retraite a le mérite d’avoir des effets budgétaires beaucoup plus sûrs et rapides. Selon les estimations avancées, demander à certains salariés de travailler deux ans de plus permettrait d’économiser près de 20 milliards à l’horizon 2020. Par comparaison, la TVA réduite dans la restauration coûte près de 3 milliards d’euros, sans effets avérés, ni sur l’emploi, ni sur les prix. La loi TEPA absorbe plus de 7 milliards d’euros. Les niches fiscales sur le seul impôt sur le revenu représentent environ 40 milliards et les allègements généraux de cotisations sociales, 30 milliards, mais, pour les unes, comme pour les autres, les réflexions sur une remise à plat, un plafonnement significatif ou un meilleur ciblage sont toujours reportées à plus tard.

L’évidence de l’argument démographique a permis de mélanger deux débats, celui de court terme sur la réduction des déficits et celui de moyen de terme sur la pérennité de notre système de retraite par répartition. Le premier était urgent mais supposait de mettre sur la table la question de la fiscalité et des aides aux entreprise s. Le second aurait pu respecter le calendrier de la loi Fillon de 2003. En mélangeant les deux, le second débat a occulté le premier. En travaillant plus longtemps, les ouvriers et les employés qui ont commencé tôt à travailler permettront aux grands groupes industriels et aux plus riches de continuer de gagner plus.

Stéphane Jugnot est statisticien économiste.

Article publié sur LEMONDE.FR le 3 novembre 2010


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