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"Rien n’est plus haut que la splendeur de ton héroïsme"
Nocturne de sang, poéme de la poétesse cubaine Serafina Núñez sur Stalingrad

Nocturne de sang

Je regarde la nuit se changer pour vêtir ses dernières
Tuniques de sang flambant neuves,
Et je chante la voix pareille au jonc enflammé
Qui cingle les noms de l’aube ;
Aube de poudre et de pleurs,
De colombes étranglées,
De poitrines poinçonnées, de bouches à jamais
Silencieuses.
Je lève la voix et chante pour dire ta gloire et ton agonie,
Stalingrad.
Stalingrad en délire et en flammes,
Stalingrad comme une statue dans le jardin du feu,
Stalingrad comme une marée recommencée,
Fracassante, furieuse, effrénée,
Verticale en ta geste comme les montagnes
Et l’espérance des peuples.
Je lève la voix et chante ton nom choyé
Par les blés mûrissants.
Ton nom où tombe mitraillé, aveugle,
Dépecé, plein d’espoir,
L’homme et son univers,
L’homme et son destin circulaire…
(Dans la nuit de la Volga des marins fantastiques
Grèvent leurs épaules du poids des étoiles
Pour éclairer le rêve des morts.)
Stalingrad encerclée d’insatiables mâtins ;
Des milans dépeuplent les tempes de tes fils
Des clous de feu rivent les tempes de tes fils,
De troubles chevaux dévalent les tempes de tes fils.
La mort et sa cendre,
La mort et son secret,
La mort et son trousseau de créatures tragiques,
La mort et ses éperons d’argent,
La mort et son horrible horizon dentelé
Suspendue à ta lumière, Stalingrad.
Rien n’est plus haut que la splendeur
De ton héroïsme,
Rien n’est plus terrible que ce tintamarre d’avions
Qui peuple l’air où naguère,
Une femme soupirait tandis qu’en ses veines grandissait
La stature du fils
Ou un petit garçon dessinait le pays merveilleux
De son enfance
Rien de plus désespéré que ton angoisse
Qui laisse pendre à chaque arbre sa nocturne guitare
Ebréchée
Je regarde ton sang, ton sang généreux,
Stalingrad, escalader les tours,
En vagues lentes et graves,
Se nicher dans les cloches,
Egratigner les reflets du petit matin,
Battre, secouer, mortifier les fenêtres du monde,
Palpiter dans la nuit calcinée, étoilée.
Je le sens dans la racine du chant,
Du frôlement des heures qui glissent
Jusqu’à la soirée qui tombe sur mes épaules
Et recèle la forme intacte du futur,
Et ici, près de mon coeur cerné de ténèbres,
Il empourpre le vol de son gémissement interminable.
Je le sens et te chante, Stalingrad,
Avec la voix pareille au jonc qui cingle le
Visage indifférent de la mort

1942

Poème publié dans le recueil « La Nuit dans les braises » - Serafina Núñez. Anthologie poétique composée, traduite et présentée par Victor Blanc. Editions Manifeste. 14 euros.


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