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Saint-Vincent de Paul : les morts de la réforme
Par Michel Strausseisen

Après la réunion extraordinaire du CHSCT demandée hier par la CGT, la direction du Groupe hospitalier Cochin-Saint-Vincent-de-Paul a accepté de défendre l’infirmière mise en examen pour homicide involontaire. Un avocat mandaté par l’AP-HP serait chargé de sa défense. Toutefois, selon nos sources, le syndicat CGT souhaiterait mandater un second avocat. On n’est jamais trop prudent…

Il semblerait donc que l’émotion suscitée par le sort qui est fait à cette infirmière ait finalement pesé dans la balance. Sort inhabituel, rappelons-le.

En effet, la demande du Parquet (c’est-à-dire du ministère de la Justice) de « mise en examen de l’infirmière pour homicide involontaire et son placement sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul et d’entrer en contact avec les personnels », acceptée par le juge en charge de l’affaire, reste disproportionnée. Les motivations du Parquet apparaissent donc comme clairement politiques.

Quoi qu’il en soit, devant cette politique « du bâton puis de la carotte », le personnel reste très attentif à la suite des évènements.

Ce qui est sûr, c’est que les larmes de crocodile de Mme Bachelot devant les médias ne trompent personne. Mme Bachelot a déclaré qu’un manque de personnel n’était pas à l’origine de l’erreur commise, citant des chiffres avec assurance. Sans doute ces chiffres lui ont-ils été communiqués par les « managers » de l’AP-HP - ceux-là même qui font des statistiques pour savoir combien de temps il faut à une infirmière pour faire une piqûre à un malade, afin de mieux gérer le personnel. Comme si faire un piqûre consistait uniquement à entrer dans une chambre, piquer le malade et ressortir, avec peut-être, tout de même, un « bonjour » en entrant et un « bonsoir » en sortant… Et lorsqu’il s’agit de prodiguer des soins à des enfants, comme c’est le cas à Saint-Vincent-de-Paul, on imagine bien qu’un minimum de relation humaine est nécessaire. Mais cela n’étant pas quantifiable, sans doute n’est-ce pas pris en compte par les « managers ». En outre, la suppression de nombre de postes oblige infirmières et médecins à consacrer de plus en plus de temps à des tâches administratives. Et Mme Bachelot peut dire ce qu’elle veut, les témoignages (y compris celui du père du petit Ilyes déclarant aux médias « qu’il n’y avait personne à l’étage ») concordent. Mais sans doute, dirait Mme Bachelot, l’infirmière mise en cause était-elle allée prêter main forte à sa collègue parce que toutes deux n’avaient rien de mieux à faire…Il est apparu aussi que le produit utilisé par l’infirmière, et qui a été fatal au petit Ilyes, était là par erreur. Un autre dysfonctionnement qu’il appartiendra à l’enquête d’éclaircir. Une autre « erreur humaine »...

L’intervention de Mme Bachelot était surtout inconvenante dans la mesure où, après avoir exprimé sa sympathie pour la famille d’Ilyes, pour l’infirmière aussi (ce dont on lui sait gré), n’a pas hésité à déclarer la poursuite des réformes. Cela signifie que la pénurie de personnel va s’aggraver encore, au détriment de la santé et de la sécurité des patients. Comme nous l’avons dit précédemment, et comme le répètent depuis longtemps les syndicats, comme le disent tous les professionnels (ceux qui sont sur le terrain, en tout cas…) il est étonnant que dans les conditions actuelles il n’y ait déjà pas eu plus « d’erreurs humaines ». Mais Mme Bachelot n’en a cure, elle poursuivra ses réformes…

Combien de morts faudra-t-il pour que ces réformes soient abandonnées ?

Après la mise en examen de l’infirmière (article publié le 26 décembre)

L’information est tombée : le parquet a requis la mise en examen pour "homicide involontaire" de l’infirmière responsable de la mort du petit Ilyes à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul (Paris 14e).

Dans notre article paru hier, Les « erreurs humaines » de Roselyne Bachelot, nous dénoncions les conditions de travail qui se dégradent sans cesse dans les établissements de santé en général et à l’AP-HP en particulier, et plus précisément les surcharges de travail essentiellement liées aux pénuries de personnel, ces dernières étant dues aux seules réformes libérales mises en place depuis plusieurs années qui conduisent notamment aux réductions drastiques des effectifs.

Demander aujourd’hui la mise en examen de cette infirmière est non seulement indigne et honteux, mais très inquiétant. En effet, cela signifie que désormais les premières victimes de la politique libérale mise en place dans les services publics seront considérées comme responsables de l’incurie qu’on leur impose malgré eux. Cela signifie qu’un machiniste, par exemple, pourra être mis en examen lorsque son véhicule sera accidenté suite à un manque d’entretien de sa machine par des services techniques en sous-effectifs. Ou encore qu’un médecin seul aux urgences, devant répondre à trois situations critiques en même temps, sera tenu responsable de la mort d’un patient si par malheur il fait le mauvais choix. Etc.

Les personnels soignants, en tout cas, sont prévenus. Toute erreur due à la chaîne infernale : manque de personnel – surcroît de travail et de responsabilités – fatigue – stress, pourra être suivie d’une sanction judiciaire.

Le système judiciaire s’engouffrera-t-il dans un jeu imposé par les politiciens qui consisterait à juger les effets en faisant abstraction des causes ? Dans ce cas, la justice aura bel et bien complètement disparu en France, puisque les véritables responsables ne seront même pas inquiétés.

Non content de demander la mise en examen de l’infirmière, le parquet va plus loin puisqu’il demande aussi « son placement sous contrôle judiciaire avec interdiction de se rendre à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul et d’entrer en contact avec les personnels. ». Outre que le parquet veuille rendre responsable une infirmière d’une situation sur laquelle elle n’a pas prise, il souhaite la traiter comme une criminelle, et dans le même temps la bâillonner…

Peut-être souhaite-t-il aussi couper l’herbe sous le pied aux syndicats hospitaliers en les empêchant de recueillir le témoignage de « l’accusée »…

Quoi qu’il en soit, l’indignation est grande au sein des hôpitaux. Le personnel hospitalier n’oublie pas la douleur des parents et s’y associe entièrement. Mais l’injustice qui est faite à leur collègue suscite stupeur et colère. D’autant que tous savent que les « accidents » malheureux se multiplieront (comment pourrait-il en être autrement puisque de toute façon puisque le personnel est déjà largement insuffisant ?) et que s’ils sont un jour mis eux-mêmes en examen, ce n’est pas leur hiérarchie (qui, elle, est pléthorique et ne joue que trop souvent les mouches du coche) qui les défendra.

Qui sera la prochaine infirmière mise en examen ? Le prochain médecin ? Les prochains aides-soignants ? Les prochains ouvriers, laborantins ou administratifs ?

C’est peut-être là le message que l’on veut délivrer au personnel : « Nous, nous casserons le service public à notre guise, et vous, vous paierez les pots cassés… »

Mais les nombreux témoignages de sympathie envers le personnel hospitalier en général, et l’infirmière en particulier, exprimés aujourd’hui par les patients et leurs familles à Saint-Vincent-de-Paul, disent assez que la ficelle des politiciens est cette fois trop grosse.

Saint-Vincent de Paul : les « erreurs humaines » de Roselyne Bachelot (article publié le 24 décembre)

A la suite de la mort d’un enfant à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14e arrondissement de Paris, Roselyne Bachelot a avancé l’explication d’une « erreur humaine ». Le cynisme de notre ministre de la Santé mérite que l’on y regarde de plus près…

Dans la soirée du 24 décembre, une infirmière venue prêter main forte à une de ses collègues d’un autre service, s’est malheureusement trompée de médicament. L’injection qu’elle a alors pratiquée sur un enfant aurait entraîné la mort de ce dernier. Une enquête est en cours pour déterminer les causes et les circonstances exactes de la mort.

Sans attendre les résultats de l’enquête, Mme Rosine Bachelot, ministre de la Santé, s’est empressée de parler « d’erreur humaine ».

Pourtant, les syndicats et personnels de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ne cessent de dénoncer depuis longtemps les réformes initiées par Bernard Kouchner lorsqu’il était ministre de la Santé, et poursuivies ensuite par les autres ministres de la Santé. Ces réformes conduisent en effet non seulement au démantèlement du service public, mais aussi à une dramatique pénurie de personnel, notamment dans les services de soins. La réduction drastique des effectifs, comme l’ont souligné sans cesse les syndicats, à commencer par le syndicat majoritaire à l’AP-HP, la CGT, met gravement en danger la vie des patients. Comment des infirmières et des aides-soignantes surchargées de travail, et sans cesse harcelées par une hiérarchie pléthorique et souvent inutile, pourraient-elles assurer de façon convenable la sécurité des patients ? Pour tous ceux qui travaillent à l’AP-HP, les conditions sont devenues telles qu’ils s’étonnent qu’il n’y ait pas déjà eu plus de morts…

Le nouveau plan concocté et imposé par Mme Bachelot va encore aggraver les choses dans toute la Santé, réduisant non seulement les capacités d’accueil des patients, mais imposant encore des réductions d’effectifs au détriment de la vie des patients.

Il est vrai que l’on ne parle plus de « patients », les managers revisités à la sauce anglo-saxonne étant passés par là. On parle désormais de « clients », et ce n’est pas par hasard : plus que la santé, la sécurité et le bien-être des patients, il s’agit d’en retirer des bénéfices…

Le grand leitmotiv mis en avant par tous les soi-disant réformateurs, de Kouchner (alors socialiste) à Bachelot, pour justifier la casse de la Santé publique, c’est l’argent. On nous rabâche comme une évidence que la Santé doit être rentable. Hé bien, non ! La Santé ne doit pas être rentable. Qu’il y ait une gestion saine des services publics, dont la Santé, personne ne s’y oppose. Mais le hic est que ceux qui prétendent mettre en place des réformes afin que la Santé devienne rentable sont les mêmes qui depuis des années gaspillent allègrement les budgets de la santé. Leur notoire incurie est seule responsable des déficits que l’on nous brandit sous le nez à tout bout de champ. CQFD : ils gèrent les budgets d’une façon aberrante, ce qui leur donne le prétexte aux « nécessaires réformes », lesquelles aboutissent toujours à la même chose : remplir les poches du privé.

Le fait que le drame ait eu lieu à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul n’est pas non plus, malheureusement, dû au seul hasard. Cet hôpital, qui non seulement était un pôle d’excellence (de réputation internationale, plusieurs premières mondiales en matière médicale y ont eu lieu), non seulement était rentable et d’un intérêt public irréfutable, a été délibérément sacrifié sur l’autel du libéralisme par les requins qui ont fait main basse sur les services publics. Tout a été bon pour le démanteler. On se souvient par exemple de la mise en scène autour des fameux « fœtus de Saint-Vincent-de-Paul » qui était destinée à discréditer la maternité de cet établissement, maternité spécialisée dans les grossesses à risques et de réputation internationale. L’ancienne Directrice Générale de l’AP-HP, Mme Van Lerberghe, et le ministre de l’époque, M. Xavier Bertrand, s’en étaient alors donné à cœur joie, avec le concours de politiciens plus préoccupés de leur carrière que d’autre chose, dont M. Delanoë. La justice avait fini par constater que le dossier était vide de tout fondement, mais le mal était fait…

Nul doute qu’à l’occasion de cette « erreur humaine » Mme Bachelot et ses comparses, en premier lieu ceux de l’AP-HP, en profiteront pour discréditer un peu plus cet hôpital et son personnel.

Mais quelle que soit la conclusion de l’enquête menée à la suite du décès de cet enfant, la conclusion du personnel qui est quotidiennement en première ligne restera la même : les erreurs, ce sont les dirigeants de l’AP-HP et de la Santé. Les erreurs, ce sont eux.

24 décembre 2008


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