« Les réverbères, avec les étoiles, éclairent la nuit dans laquelle je marche. Je veille pendant qu’ils dorment, ceux et celles de mon quartier. »
Yvon Le Men, Existence marginale mais ne trouble pas l’ordre public
Avec Yvon Le Men tout, et toujours, commence par un poème. C’est pourquoi je lui confie aujourd’hui les quelques vers qui suivent. Il ne les partagera peut-être pas, nous n’avons pas forcément les mêmes saisons en tête ni les mêmes moments du jour ou de la nuit. Mais ces mots-là sont pour lui, des mots détachés comme les feuilles d’automne et comme les notes remontées d’un jazz ancien.
lune opaque
éternelles saisons
les feuilles s’agitent
et nous blessent les doigts
la parole se libère
alors que le vent d’automne
déjà se lève
alors que les jours
sont de plus en plus courts
lune rétrécie
prise entre deux feux
deux éclats de soleil sur le déclin
le silence et l’ombre
sont de retour
sur le devant de la scène
l’automne est une saison triste et ennuyeuse
l’automne est une basse saison
où tout devient plus sombre
à l’automne
l’ennui revient toujours avec force
saison propice à la mélancolie
et à la lenteur
saison
où même la nuit devient plus froide
Tout à tour comédien, conteur, romancier et poète, surtout poète et surtout comédien, conteur, romancier, Yvon Le Men ne sépare pas les êtres et les choses, il les associe. Tout chez lui ressemble à la scène, mais à une scène de voisinage, généreuse et intime. Sa voix, aujourd’hui devenue bien plus douce, nous entraîne de l’autre côté du miroir où Alice et tant d’autres déjà nous attendent.
Écrire sur ou pour Yvon Le Men, c’est facile. Yvon ressemble tellement à ce qu’il est et à ce qu’il écrit, tantôt silencieux, réservé, et tantôt affable, partageux. Les mots de ses poèmes sont sobres (et chics), les mots de ses proses sont teintés d’un humour jamais noir mais tout le temps limpide.
La vie et l’œuvre d’Yvon Le Men se confondent et, comme la rivière, elles se souviennent toutes les deux de la source. Et, ensemble, inlassablement elles remontent jusqu’aux origines – sans pour autant les trouver. Yvon Le Men a des allures de saumon. C’est un véritable saumon, même, puisque toujours il navigue à contre-courant. Puisque toujours il est ce poisson que l’on prend plaisir à déguster.
Dans ses poèmes, Le Men délivre un message concentré, une sorte de résumé de la parole. Dans ses autres textes, c’est une autre manière de dire, de formuler. D’un côté, il y a la filiation : Eugène Guillevic, Xavier Grall, Jean Malrieu… De l’autre, on penche plutôt du côté de l’écrivain américain, Richard Brautigan.
Yvon Le Men aime sa Bretagne natale et réelle. Il aime aussi perdre le Nord, sous son étoile polaire et fidèle. Sur scène, il reste lui-même, familier et lointain à la fois. Serein et traversé par l’éclair. Yvon Le Men parle de sa mère et de la mer, des gens de peu, des amis perdus et de toutes les femmes-flammes de sa vie.
Yvon Le Men est un saumon à qui on n’a jamais appris à nager.
Yvon Le Men, Existence marginale mais ne trouble pas l’ordre public, nouvelles, Flammarion, octobre 2012, 208 pages, 14 €