Le sexe est biologique et relève du réel, le genre une construction qui relève de l’image de soi. Le marché, nouveau Maître, joue sa partition faite d’apories et d’impasses.

Dans certains milieux, universitaire, intellectuel et médiatique, une idée gagne et se répand, celle que « la notion de genre a ruiné le concept de sexe ». Or, nous dit Dany-Robert Dufour, par ailleurs auteur du Délire occidental et du Divin marché, il s’agit d’une croyance. Une croyance de toute puissance, ou pléonexie, que le Marché, à la fois mythe et idéologie dominante, promeut, entretient et dont il profite. Le phénomène trans, la demande de changement de sexe « est en train de devenir le symptôme du siècle », autrement dit celui de sociétés où le néolibéralisme promet à tout un chacun, « à tout un chacune », d’exaucer leurs désirs toujours renouvelés, comme « de les sortir de leur condition sexuée ».

Le marché néolibéral assure que « l’on peut acheter le sexe qu’on veut aux rayons des supermarchés des industries psychique, pharmaceutique et chirurgicale. Il signifie par là même qu’il dispose de pouvoirs sans limites qu’il met généreusement au service de la libération de l’individu. Le nouveau Maître est ainsi parfaitement dans son rôle : c’est là où il prétend libérer qu’il aliène ».

Mais plus largement, pour l’auteur, « en cédant au discours qui intime, pour son propre profit, de vouloir toujours plus, nous sommes en train de tout perdre ». Bref, l’ordre du marché mu par le toujours plus « est en train de consumer le monde. De le détruire. Non seulement le monde physique, nous-mêmes et notre environnement, mais aussi le monde sociétal, de même que le monde psychique, sans oublier celui de la culture ». Dans ce domaine-là également, celui de la sexualité, l’auteur de L’individu qui vient après le libéralisme, s’inscrit en faux contre les affirmations fondées non sur des faits mais sur le « ressenti des victimes » qui récusent science et rationalité ainsi que le rôle de l’objection, cœur de tout travail critique.

L’auteur qui, par ailleurs, cite et interprète notamment de manière passionnante Le Con d’Irène d’Aragon, se livre là à un exercice somme toute digne de tout réel travail intellectuel conséquent : montrer en quoi sexe et genre sont deux concepts recouvrant des réalités fondamentalement différentes. « De sorte qu’il n’y a pas à choisir l’une contre l’autre, sauf à tomber dans le panneau du Maître (le marché), mais à les combiner pour comprendre notre condition ».

Le phénomène trans. Le regard d’un philosophe
de Dany Robert-Dufour,
le Cherche-midi 180 pages, 19,90 euros