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Ukraine – Russie, arrêter la guerre d’urgence
Par Bernard Frédérick

Alors que nous doutions encore, avec nombre de spécialistes ou de dirigeants politiques, que Russes et Ukrainiens puissent s’affronter les armes à la main, dans notre contribution précédente nous appelions à faire « la guerre à la guerre ». La tragédie dont nous espérions qu’elle serait contenue, est malheureusement là.
En décidant d’envahir son voisin du sud, le président Poutine non seulement répand le sang des « frères » ukrainiens et de ses propres « fils » mais il trahit son propre discours sur le « même peuple » conduisant les Russes à ressentir cette opération militaire comme une guerre civile, la pire de toutes les guerres.

« Ces dernières décennies, la politique étrangère russe envers l’Ukraine a été un échec total. Le pari des dirigeants russes à l’égard des groupes oligarchiques en Ukraine même a complètement échoué, explique le député communiste à la Douma, Denis Parfenov. C’est la conséquence de cette approche qui est à l’origine de la tragédie qui se déroule actuellement. Je suis sûr que les dirigeants des puissances occidentales se frottent tranquillement les mains de joie : en effet, le rêve séculaire de l’Occident de monter les peuples slaves les uns contre les autres, de monter les Russes contre les Ukrainiens, est devenu réalité ».

« Et en même temps, poursuit-il, il faut également comprendre que la Russie n’est en aucun cas un État socialiste qui apporte aux autres nations la libération des exploiteurs et des idées de justice sociale. La Russie elle-même est un État capitaliste avec un régime oligarchique. Un téléspectateur attentif qui aurait regardé le Président Poutine avec 20 minutes de retard sur le plateau de télévision, aurait pu ne pas comprendre de quel pays parlait le chef d’État, dénonçant la corruption, l’oligarchie, l’effondrement de l’industrie, etc. – M. Poutine critiquait l’Ukraine, mais une grande partie des failles du système social qu’il a mises en évidence sont également typiques de la Russie (…). La bataille pour l’Ukraine oppose des puissances capitalistes : la Russie capitaliste tente d’arracher l’Ukraine au contrôle extérieur de la plus grande puissance impérialiste, les États-Unis d’Amérique » [1].

Zbigniew Brzezinski, conseiller de Jimmy Carter, de 1977 à 1981 et qui apporta son concours tant à Reagan qu’à Bush et Obama, grand défenseur de l’hégémonie américaine, jouait en juillet 2014 les oracles : « Poutine pourrait envahir l’Ukraine, en s’appuyant sur le potentiel militaire beaucoup plus important de la Russie. Une telle action, cependant, non seulement déclencherait des représailles immédiates de la part de l’Occident, mais pourrait également soulever une résistance ukrainienne. Si une telle résistance s’avérait durable et intense, il y aurait une pression croissante sur les membres de l’OTAN pour soutenir les Ukrainiens de différentes manières, rendant le conflit beaucoup plus coûteux pour l’agresseur. Pour le Kremlin, la conséquence de cette troisième option serait non seulement l’hostilité permanente de 40 millions d’ukrainiens mais aussi une Russie isolée politiquement et économiquement, qui ferait face à un risque accru de troubles internes ». Voilà qui se réalise hélas sous nos yeux.

Depuis des années, et surtout depuis le putsch de Maïdan, en 2014 qui entraina l’annexion de la Crimée par la Russie, l’hystérie russophobe avait atteint des sommets. Avec la guerre actuelle, elle est sans limite. Non seulement les sanctions occidentales frappent l’économie russe – c’est-à-dire la vie quotidienne des peuples de Russie – mais elles s’étendent aux sportifs, aux artistes, aux chercheurs jusqu’aux éditeurs, refusés dans les grandes foires du livre.

Vladimir Poutine peut bien gagner la guerre ; il a irrémédiablement perdu l’opinion et pour un part, même celle de son pays lui-même. Quoiqu’il se passe, il faudra des années à la Russie pour retrouver une place dans le concert des nations.
Face à la russophobie et aux sanctions économiques, le président russe, avait jusqu’ici fait preuve de sang-froid. Que s’est-il passé pour qu’il prenne une décision qui annihile ses propres efforts passés ? Se poser la question, n’est pas excuser la faute présente – car il s’agit bien d’une faute – mais essayer de comprendre l’évolution de la politique russe dans le cadre de l’évolution de toutes les relations internationales.

De ce point de vue, si Vladimir Poutine raye d’un trait de plume sanglant toute la tradition de la diplomatie soviétique et russe, les Etats-Unis et leurs alliés européens n’ont pas moins de responsabilités : bombardement de Belgrade en avril 1999 ; invasion de l’Irak en 2003 ; intervention en Libye en 2011 ; soutient au putsch à Kiev en 2014…A quoi il faut ajouter l’élargissement continue de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie.

« Les États-Unis ont étendu l’OTAN aux frontières de la Russie, y compris en déployant des forces dans les pays baltes où l’Union soviétique avait ses plus grandes bases militaires avancées, explique le chercheur géostratège indien, Brahma Chellaney. Entre 2014 et 2021, les États-Unis ont versé plus de 2,5 milliards de dollars d’armes et d’autres aides militaires à l’Ukraine, que Moscou considère comme faisant partie de son périmètre de sécurité. Pour protéger son cœur, en particulier Moscou, la Russie s’est historiquement appuyée sur un tel tampon stratégique ».
Et le chercheur de poursuivre : « Après la chute de Kaboul aux mains des talibans, un Biden affaibli a cherché à restaurer sa crédibilité chez lui avec une politique russe plus dure qui laissait peu de place au compromis avec Moscou. Les exercices militaires provocateurs de l’automne dernier entre les États-Unis et l’OTAN près de la côte russe de la mer Noire ont exaspéré Moscou, préfigurant la crise actuelle. Suite aux exercices US-OTAN, le Kremlin a massé un grand nombre de troupes et d’équipements près des frontières avec l’Ukraine, signalant qu’il était prêt à utiliser la force si la diplomatie échouait » [2].

Elle a échoué. L’occident n’a pas voulu répondre au président russe qui proposait un nouveau traité entre son pays et l’OTAN, une démilitarisation à ses frontières la neutralité de l’Ukraine et la reconnaissance de l’appartenance de la Crimée à la Fédération russe.

Reste que l’échec, peut-être momentané -, de la diplomatie, n’impliquait pas qu’on entre en guerre. Au XXIe siècle la guerre ne saurait être « la continuation de la politique par d’autres moyens ». Clausewitz est passé de mode ou, du moins, il doit l’être.

L’urgence, aujourd’hui, est à un cessez-le-feu général, au retour des troupes russes dans leurs frontières et au départ des troupes ukrainiennes de Donetsk et Lougansk. Au-delà, et la France pourrait-en être à l’initiative – il faut une conférence internationale du type de celle qui a eu lieu à Helsinki en 1973, qui réunirait tous les pays d’Europe, l’Ukraine, la Russie et les Etats-Unis, dans le but de fixer de nouvelles règles pour vivre ensemble sur le vieux continent, assurerait à chacun la sécurité, à la Russie comme à l’Ukraine dans le cadre d’un statut de pays neutre.

Notes :

[2https://op enthemagazine.com/cover-stories/the-new-cold-war-begins


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