Christophe Dauphin est une personnalité majeure du monde de la poésie. Essayiste, critique, éditeur, directeur de revue, il est avant tout un véritable poète c’est-à-dire un homme total. Le poète est celui qui porte sur le monde ce regard intransigeant qui fouille les entrailles de l’émotion comme du songe.
La poésie décantée de Christophe Dauphin est engagée. Elle s’engage et engage le lecteur très profondément dans les replis sombres ou lumineux de la psyché. C’est une poésie de la révolte. Le passant ordinaire devient corsaire de la liberté pour voguer sur une intimité ensanglantée. C’est le vent des mots qui sauve du vulgaire. Beaucoup de ces poèmes sont des cris.
Voici une poésie éveillante faite d’abordages et d’attaques intempestives. Des vivres pour ravitailler les habitants de l’Île des poètes, l’une des Îles des immortels bannis.
Joséphine à la robe transatlantique agite son collier
de villes qui dansent sur les lèvres du monde
Paris Berlin Budapest Moscou
Castelnaud les Milandes ses enfants et ses rapaces
comme autant de bagues à ses doigts
Joséphine aux jambes-ciseaux de la liberté
Plus belle que la Guerre de Sécession
Joséphine fait manger à la douleur l’ivoire de ses pierres
et danse nez à nez avec l’Equateur
sa robe se taille dans un Montravel vert tendre
nez très frais de sa peau
bouquet de fruits d’agrumes et de pêche blanche
qui épousent son corps
dans lequel nage Eros ce buveur d’ouzo
Joséphine est un cri à toute épreuve
une danse qui étrangle la plaie dans l’abîme
une danse qui est résistance
dans la valse-pogrom du siècle
Il pleut des flics de gouttes d’ignorance et de mépris
et toi Joséphine tu es la vie qui respire
ton ombre étreint le feu
ô amour
et le perpétue.
Christophe Dauphin, d’un continent à l’autre, voyageur des corps et des âmes déchirés, explore le continuum de la douleur. Il refuse de dormir. Il refuse de supporter l’insupportable. Vivant, il s’adresse aux vivants même quand il est trop tard.
Sensible équilibré et lisse
le Tequila caresse la lame des solitudes
qui laboure la plaie et fait mal
comme un cri qui libère sa fêlure
Il ne pardonne pas il ne pardonne rien
comme l’amour chute dans l’Aztèque de Tlatelolco
le Jaibo de Los Olvidados
des balles traversent Coyoacan pour crever le paysage
le piolet de Mercader s’enfonce dans le crâne de Trotsky
les étoiles froides de la nuit
La colonne vertébrale des comètes
explose dans un tramway
la femme-douleur s’endort avec ses couleurs
dans un été de guêpes
Dépression nerveuse à 2.250 mètres d’altitude
le tequila se distille avec l’équinoxe des aigles
la Margarita s’envole vers Merida
avec sa glace pilée et l’agave son nuage de sel
et son soleil-citron vert
Le Tequila se boit entre chien et loup
dans le bleu sombre d’une fête qui masque son désespoir
Au fond de mes yeux dort Octavio
Mexico en exil dans l’ombre d’un sacrificateur.
Il ne s’agit pas de s’en laver les mains. Je dis et je retourne au banal. Non, l’amitié se construit, combattante ou distante du monde, elle est faite d’ivresse et de poésie. Face à l’impossibilité de ce monde-là, face à l’imposture permanente, il y a la posture rabelaisienne, le savoir et la joie. Le rire à en mourir. A plus haut sens.
Un fanal pour le vivant, poèmes décantés de Christophe Dauphin, Editions Les Hommes sans Epaules.
Les Hommes sans Epaules, 8 rue Charles Moiroud, 95440 Ecouen – France.