Aujourd'hui, nous sommes le :
Page d'accueil » Faits et arguments » Société » Une société de service et de classe : quel centre de (...)
Version imprimable de cet article Version imprimable
Une société de service et de classe : quel centre de gravité de la lutte sociale aujourd’hui ?
Par Jean-Claude Delaunay, économiste

Les services n’ont pas bonne audience dans la pensée communiste, à moins qu’ils ne soient « services publics ». Mais, dans ce cas, les activités ainsi désignées peuvent être tout aussi bien de production matérielle classique que de service. Les communistes ont une culture de la production matérielle, une culture de la classe ouvrière et de ce qu’ils nomment « les producteurs », mais ils sont réservés à l’égard des services, dont ils n’ont pas bien compris la rationalité, sauf à les identifier « au capitalisme » et au personnel d’entretien. Cette méconnaissance engendre, évidemment, une perte politique considérable. Après avoir rappelé quelques faits (mais il y en a bien d’autres et de plus en plus) relatifs à ce type de société, je les interprète selon quatre angles.

Quelques faits, tout d’abord (l’Humanité, début juillet). Le premier concerne Henri Mendras, conseiller financier à la Caisse d’épargne d’Aubenas, sanctionné pour n’avoir pas cherché à placer en force, dans le portefeuille d’un client hésitant, des titres financiers douteux. Le deuxième a trait à A. Raffallo, B. Cazals, E. Redon, professeurs refusant d’appliquer certains aspects des « réformes Darcos ». Car, disent-ils, « nous ne pouvons pas brader notre conscience en acceptant des réformes qui font du mal à l’école publique ». Le troisième est relatif à Radio France International dont les salariés animent, depuis deux mois déjà, une grève déterminée. « Nous allons, déclare notamment Nicolas Vescovacci, nous retrouver avec Radio Banania aux ordres du Quai d’Orsay. » Je suis très sensible à ces faits, ayant publié fin 2007, avec Quynh Delaunay, une réflexion sur la société contemporaine et le caractère révolutionnaire de sa dimension « services ». La société de service existe, c’est notre quotidien. Et pourtant, nous ne la voyons pas, ou pas bien. Voici quatre conclusions, que l’on peut tirer, selon moi, des faits mentionnés ci-dessus.
1. Le centre de gravité de la lutte sociale aujourd’hui, dans un pays développé, est composé des ouvriers et des employés, ces derniers étant de plus en plus des employés des services. Ce constat est banal, mais il faut se le rappeler sans cesse. Le groupe que l’on nomme « les classes populaires » représente environ les deux tiers du salariat. Les classes populaires sont composites. Elles sont enracinées dans l’industrie, mais de plus en plus implantées dans les services, qu’ils soient privés ou publics. Elles sont aussi de plus en plus féminisées. C’est de ce groupe composite que, en priorité, viendront ou ne viendront pas l’impulsion du combat révolutionnaire et le soutien à ce combat. On observe que les cas retenus renvoient aussi à un salariat de haute qualification.
2. La deuxième conclusion suggérée par cette actualité est la différence existant dans le contenu des luttes entre les ouvriers et les employés. Les ouvriers sont complètement écrasés par la mondialisation capitaliste. Ils se battent pour leur survie, au sens premier du terme. Certes, ils constituent le socle de la société nouvelle en formation. Ils lui donnent en héritage tout ce qu’ils ont pu conquérir d’expériences et de droits. Mais ils n’ont plus la capacité d’en indiquer l’avenir à eux seuls. Cette capacité réside dans la classe des employés des services, qui, comme Mendras, refusent de s’associer à des opérations financières douteuses ou, comme Raffalo et ses amis, refusent de contribuer à nuire à l’école ou, comme Vescovacci, refusent d’alimenter Radio Banania. Ces employés des services ont la société en perspective, et pas seulement leur propre survie. Ils forment une classe révolutionnaire.
3. La troisième conclusion est le changement profond introduit dans le travail en général par le biais des services. Ces activités utilisent des équipements de très haut niveau, Il reste que le travail vivant apparaît beaucoup plus important et nécessaire que dans l’époque industrielle précédente. Les bases de données que manipule Mendras doivent être en permanence réactualisées et enrichies par ses soins. Les informations diffusées par RFI sont évidemment l’objet d’un travail vivant, multiple, constant, de recueil et de réflexion. Les technologies que certains disent être le fer de lance de la société nouvelle ne sont rien sans que le travail vivant ne les enrichisse en permanence.
4. Finalement, la conclusion la plus importante me paraît être celle concernant l’usage. La société de la production matérielle, axée sur la production d’objets, a mis en lumière l’utilité des produits. La société de la production non matérielle qui, tout en prenant appui sur elle la remplace, fait apparaître le caractère primordial de l’usage. Dans la société de service on ne produit pas parce que c’est, a priori, utile. On produit pour que cela soit utilisé, avec toutes les vérifications individuelles et sociales plutôt rapides que l’expérience de l’usage peut entraîner. Mendras, par exemple, a dit : « Je ne suis pas d’accord avec cet usage. » Là se trouve le caractère révolutionnaire de son intervention et non dans les milliers d’ordinateurs dont dépend son travail.

Article paru dans L’Humanité du 12 septembre 2009


Rechercher

Fil RSS

Pour suivre la vie de ce site, syndiquez ce flux RSS 2.0 (lisible dans n'importe quel lecteur de news au format XML/RSS).

S'inscrire à ce fil S'inscrire à ce fil