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Comment l’industrie de la viande menace le monde...
Par Fabrice Nicolino

Fabrice Nicolino, auteur de deux ouvrages sur les biocarburants et les pesticides, revient avec une enquête inédite sur l’industrie de la viande. Son nouveau livre, « Bidoche », dresse un état des lieux des dérives écologiques et sociales de cette industrie planétaire.

De plus en plus de pays consomment de la viande. Comment ces nouvelles pratiques alimentaires modifient-elles le paysage agricole ?

Fabrice Nicolino : Manger de la viande est effectivement un acte social majeur, signe de richesse. On en voit l’illustration parfaite en Chine : depuis quinze ans environ, près de 200 millions de Chinois ont vu leur pouvoir d’achat augmenter, et du coup, leur consommation de viande a explosé.

Cette demande croissante est d’ailleurs un mouvement qui sévit à l’échelle planétaire. On évoque la Chine, mais c’est tout aussi vrai en Inde, au Brésil, en Russie, etc. Or, il se trouve que le « rendement énergétique » d’un animal, est très mauvais : pour produire un kilo de viande, il faut entre 7 et 10 kg de végétaux. Du coup, le besoin de terres agricoles ne cesse de croître, au point qu’aujourd’hui, 60% de la surface agricole mondiale est entièrement dédiée à l’élevage. Et c’est d’autant plus vrai en Europe, où ce chiffre atteint les 70%.

Les terres vont donc manquer ?

De nombreux agronomes s’inquiètent de voir que les terres agricoles sont de plus en plus difficiles à trouver. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ces 50 dernières années, la population mondiale a plus que doublé. Et la surface des terres dédiées à l’agriculture a augmenté d’à peine 10%. Ces terres fertiles sont donc de plus en plus rares. D’ailleurs, l’achat massif de terres des pays du Sud par, entre autres, l’Arabie Saoudite et la Chine est un signal qui ne trompe pas. Et n’oublions pas que nous serons 9 milliards en 2050.

Alors, que va-t-il se passer ?

Il faudra à tout prix cesser d’utiliser nos terres pour nourrir un bétail destiné à être mangé par certains, pour les cultiver dans le but de nourrir directement tous les êtres humains. Nous avons encore le temps d’assurer cette transition, mais plus pour très longtemps. Sans quoi, elle s’imposera à nous, non sans dégâts écologiques et sociaux.

En 40 ans, la consommation mondiale de viande est passée d’une moyenne annuelle de 24 kg par personne en 1964 à environ 40 kg aujourd’hui. Avec une grande disparité entre pays industrialisés (de 62 à 88 kg), et pays en développement (10 à 28 kg). Le Réseau Action Climat estime qu’en tenant compte de l’élevage et du transport jusqu’au lieu de vente, la production d’1kg de veau rejette une quantité de GES équivalente à celle d’un trajet de 220 Km en voiture. La FAO a évalué à 18 % la contribution de l’élevage aux émissions totales de GES émises par l’activité humaine.

Comment les pays d’Amérique Latine gèrent-ils le problème de la déforestation causée par la culture du soja ?

Le sujet est explosif en Amérique Latine, et notamment au Brésil. L’élevage y est très important, et nécessite donc des surfaces de pâturage géantes. Or, l’expansion fulgurante des cultures de soja transgéniques, destinées à nourrir le bétail, réquisitionne toujours plus de terres agricoles, et fait pression sur les pâturages. Du coup, non seulement les éleveurs brésiliens délaissent les cultures vivrières, mais en plus , ils gagnent sans cesse du terrain sur la forêt amazonienne et les cerrados. C’est ce qu’on appelle l’avancée du « front agricole ». Le gouvernement de Lula est d’ailleurs très embarrassé : la forêt tropicale ne s’est jamais aussi mal portée que depuis qu’il est au pouvoir…

La structure du secteur laisse-t-elle une place à une agriculture plus respectueuse ?

En France, il existe une poignée de grosses structures, comme In Vivo ou Doux. Leur activité va du commerce des pesticides à la mise sur le marché des produits finaux. Ces entreprises sont dans une logique purement industrielle, ce qui donne des situations parfois cocasses. Par exemple, Doux a acheté des sites de production de poulets au Brésil, au début des années 2000. Et vend aujourd’hui ces poulets brésiliens en France moins chers que les poulets Doux de Bretagne… ! Le reste du secteur est composé d’une multitude de petites entreprises très concentrées géographiquement. Par exemple, près de 60% de la production porcine française se trouvent en Bretagne, c’est-à-dire, sur à peine 5% du territoire hexagonal. Ces productions très concentrées peuvent avoir des impacts environnementaux désastreux, comme la prolifération des algues vertes…

Ce schéma est-il franco-français ?

Non, il est sensiblement le même à l’étranger. En fait, toutes les industries mondiales de la viande se sont alignées sur le modèle américain apparu au début de XXème siècle. Un modèle de concentration et d’industrialisation massive de la production qui nous mène droit dans le mur.

Publié sur www.novethic.fr

Bidoche. Octobre 2009. Editions LLL, 400 pages, 21 euros.


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