La chose est désormais entendue. Madame Michèle Alliot-Marie va quitter le
Quai d’Orsay, et celles et ceux qui ont la France et son honneur fichés au fond
de leur esprit et de leur coeur ne peuvent pas s’en plaindre. Il était temps…
Grand temps.
Qu’on se comprenne bien : plus que des voyages plus ou moins décents, c’est du
fond qu’il est question. Car c’est un fait : son aveuglement politique a été total.
En particulier concernant le Proche et Moyen-Orient.
Certes, la politique étrangère relève du « domaine réservé » du président de la
République, et l’Elysée est donc à la manoeuvre. Ce rôle revient en particulier au
conseiller diplomatique du président, Jean-David Levitte, et au secrétaire
général de l’Elysée, Claude Guéant.
Tous deux accumulent des erreurs de jugements qui nuisent à la France, mais ils
restent en place. Ces « néoconservateurs », qui ont plusieurs train de retard sur
l’évolution du monde et un désintérêt pour la place de la France dans le monde,
en particulier au Moyen-Orient, devraient, et sur le champ, être également
« remerciés ». Mais les atteindre c’est atteindre le Président. Et, quand on est
président, on préfère faire sauter un fusible que de mettre en danger le système.
Reste que Michèle Alliot-Marie, grâce à eux, va tomber non sur des péripéties
secondaires, mais sur le fond du dossier du Moyen, et surtout, du Proche-Orient.
C’est pourquoi son successeur devrait s’en souvenir. Pour lui, accessoirement,
mais surtout pour la France.
Madame Alliot-Marie n’a rien vu venir des « révolutions arabes ». Certes, elles
étaient imprévisibles. Mais on ne saurait en dire autant du conflit israélo-
palestinien, qui est à l’origine, depuis plus de soixante ans, des humiliations du
monde arabe. Or qu’a telle fait sur ce dossier ? A peine se rendit-elle sur place
qu’elle commit maladresses sur maladresses. Jusqu’à ce que des Palestiniens lui
brandissent des chaussures sous le nez, acte de mépris suprême. Jacques Chirac,
lui dont elle se réclama quelque temps, affronta, lui, la police israélienne dans
les rues de la vieille ville de Jérusalem pour défendre le droit et l’honneur de la
France.
Et quelles décisions a-t-elle prise à propos de ce conflit nodal, central ? Comme
ministre de la Justice et Garde des Sceaux, elle a détourné la loi du 29 juillet
1881 pour traîner devant les tribunaux des militants pacifistes en les qualifiant
de « racistes » parce qu’ils disent « non » à la politique israélienne. Pour ce faire, elle n’a pas hésité à se renier : elle qui, ministre de l’Intérieur, répondait en
ami 2009 au député Eric Raoult ne voir pas trace, en France, de « boycott des
produits casher », affirmait le contraire, sans la moindre preuve en février 2010
devant le dîner du CRIF d’Aquitaine…
Parvenue au Quai d’Orsay, elle a poursuivi sa mission d’« amie d’Israël » en ne
faisant pas la moindre déclaration, pas le moindre geste pour obtenir du
gouvernement Netanyahou qu’il cesse de saboter toute négociation et en
particulier gèle toute activité de colonisation. Inutile de dire qu’une initiative,
même symbolique, aurait quelque peu restauré l’image de notre pays entachée
dans cette région du monde par la rupture de Nicolas Sarkozy avec la politique
initiée par le général De Gaulle.
A l’heure où le Quai d’Orsay se prépare à accueillir un autre locataire, il n’est
pas inutile, non fixer à ce dernier une « feuille de route » – nous n’avons pas,
nous, cette outrecuidance –, mais de lui suggérer avec insistance trois actes
majeurs qui ne peuvent plus attendre.
Tout d’abord, il convient d’en finir une fois pour toute avec la conception selon
laquelle l’amitié avec Israël passerait par un accord inconditionnel avec sa
politique, quelle qu’elle soit. Faut-il, par exemple, militer pour l’impunité des
dirigeants de cet Etat lorsqu’ils sont accusés de « crimes de guerre, contre
l’humanité » par le rapport Goldstone, approuvé lui-même par l’Assemblée
générale de l’organisation ? Faut-il, alors qu’on déclenche une crise
diplomatique avec le Mexique à propos d’une compatriote en prison pour des
raisons de droit commun, ne pas lever le petit doigt pour libérer Salah Hamouri,
de jeune franco-palestinien qui pourrit dans une prison israélienne pour des
raisons uniquement politiques ? Ce tropisme pro-israélien devient de la
complaisance pour toutes les atteintes au droit et aux droits auxquels se livre cet
Etat. Il faut y mettre un terme.
En second lieu, il faut en finir avec cette absurdité qui consiste à dire, comme l’a
fait Michèle Alliot-Marie : « On reconnaîtra l’Etat palestinien une fois les
négociations terminées entre les deux parties. » Mais nul n’ignore que laisser
Israéliens et Palestiniens face à face ne peut que conduire à une impasse totale.
Il faut au contraire agir, c’est notre devoir et notre responsabilité. Aux antipodes
de l’attentisme, la France doit inaugurer enfin un « cercle vertueux » en
reconnaissant sans délai l’Etat palestinien dans ses frontières de 1967, avec
Jérusalem-Est comme capitale.
Car – et c’est le troisième acte qui s’impose –, si notre diplomatie est sincère
dans l’espoir proclamé qu’un Etat palestinien voie le jour en en 2011, il faut
qu’elle adopte une toute autre démarche au sein de l’Union européenne. La
France, parce que c’est la France, peut constituer la force motrice au sein des Vingt-Sept pour les amener à reconnaître, eux aussi, l’Etat de Palestine afin que
celui-ci devienne dès cette année un membre à part entière des Nation unies.
Barak Obama lui-même s’y est engagé, mais le veto américain opposé par
Washington à une résolution récente condamnant – comme les Etats-Unis – la
colonisation le confirme : la Maison Blanche ne tiendra ses engagements que si
ses alliés l’exigent haut et fort.
Dans son dernier communiqué, le Conseil des ministres européens des Affaires
étrangères déclarait que l’Europe reconnaîtrait l’Etat de Palestine « le moment
venu ». Si l’Europe ne bouge pas, le temps ne viendra jamais.
Monsieur ou Madame le prochain ministre des Affaires étrangères de la France :
le moment est venu de reconnaître l’Etat de Palestine et de l’accueillir au sein de
l’ONU.
Plus généralement, « le moment est venu » d’une toute autre politique qui tende
la main aux révolutions arabes, aux Palestiniens qui bougent eux aussi et exigent
l’unité entre Fatah et Hamas, aux pacifistes mobilisés pour la défense de leurs
libertés – une politique qui fasse du droit un principe et de l’action un devoir,
une politique qui soit de justice et de non-arrogance envers ces peuples amis.
Lettre publié la veille de la nomination d’Alain Juppé comme ministre des Affaires étrangères.
Jean-Claude Lefort est Président de l’Association France-Palsetine Solidarité et député honoraire.