Une négociation « sans limites, sans tabous », c’est ce qu’a dit Emmanuel Macron face au patronat le mardi 18 avril.

Alors moi, ce sans limites sans tabous a bien trotté dans ma tête, au point d’imaginer le menu du premier jour de négo.

En apéro : le bruit.

Faut commencer tranquille, par un sujet qui intéresse pas grand monde, sauf bien sûr ceux à qui ça déchire l’oreille, qui deviennent sourds ou presque, et qui se demandent comment payer les soins et l’appareillage quand ça n’a pas été déclaré et reconnu en maladie professionnelle.
Oui, le bruit en apéro c’est bien, avec les chiffres qu’on a sous la main [1]. Par exemple ceux de 2016 : un peu plus de 600 000 salariés disent ne pas pouvoir entendre de leur poste de travail une personne située à 2 ou 3 mètres lorsqu’elle leur adresse la parole même si elle élève la voix.
2017 : les expositions aux nuisances sonores ont augmenté ces 20 dernières années (32% des salariés en 2017, contre 28% en 1994), dans presque tous les secteurs, et dans la construction c’est pas +4 points mais +19 points.
Toujours 2017 : 9% des salariés sont exposés à des bruits supérieurs à 80 dB (A) 10 heures ou plus par semaine, avec un tiers de ceux-là qui n’ont pas de protections auditives à leur disposition.

Et puis une entrée, au choix.

Le travail le dimanche et les jours fériés, parce que d’après les chiffres à disposition [2], y sont quand même un paquet. Les employés de commerce et de services : 60% en 2017. Mais pas seulement, y a aussi les employés administratifs : 10% en 2003 et puis ça monte à 11% en 2010, 13% en 2017. Et les ouvriers non qualifiés : 23% en 2003, pareil en 2010, et puis ça grimpe à 29% en 2017. Et d’autres.

Mais si ce sujet casse l’ambiance, on peut se rabattre sur celui de l’intensité du travail, en commençant par ces quelques chiffres officiels [3] : en 2017, plus de 66% des salariés considèrent qu’on leur demande de travailler très vite et 35% jugent qu’on leur demande une quantité excessive de travail, soit +3 et +4 points comparé à 2003.

Le plat de résistance, pas de choix : la mort.

En 2021 : 1164 morts dont 645 à cause d’un accident du travail, 240 à cause d’un accident de trajet, 279 à cause d’une maladie professionnelle [4]. Ça c’est les chiffres officiels.
Le plat peut être pimenté par le nombre de dommages non déclarés, et le pourquoi c’est pas déclaré.
Et si on aime très pimenté, y a cette proportion d’environ 1 suicide sur 10 potentiellement lié au travail, comme le dit non pas un méchant syndicaliste « radicalisé » mais une étude tout ce qu’il y a de plus propre de Santé Publique France [5]. Avec environ 9000 suicides par an en France toutes causes confondues, je vous laisse faire le calcul...

En dessert : les produits chimiques.

Parce que l’exposition à au moins un produit chimique concerne un tiers des salariés, que cet ordre de grandeur n’a pas baissé depuis un bon paquet d’années, que l’exposition à au moins un produit cancérogène concerne encore 10% des salariés en 2017 soit 1,8 million de personnes et que ces 10% grimpent à 30% pour les ouvriers qualifiés, disent les chiffres officiels [6] .
Et pour la cerise sur le dessert : les 52 500 à 82 200 par an de cancers attribuables à l’activité professionnelle. C’est pas moi qui le dis, c’est dans le rapport 2021 très sérieux sur la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles [7].

Et puis au café, s’accorder sur le sujet du lendemain : les salaires des uns, les dividendes des autres.

Donc, comment dire... le sans limites sans tabous, ça risque d’être un peu long, et de fâcher.

Mais pas de panique, au menu du avec limites avec tabous y a aussi le choix.

L’inépuisable QVT, devenue QVCT.
L’inénarrable bienveillance en entreprise.
Les n° vert d’écoute psychologique, les séances de sophrologie, les ateliers bien-être, les zen room, les espaces détente avec casque de réalité virtuelle, les espaces de convivialité, les massages assis, debout ou allongé, les micro-siestes, et tout ça.
Y a aussi la distribution de pommes bio qui pourrait d’une pierre trois coups améliorer la QVCT, aider au mieux manger par ces temps d’inflation et relancer l’économie française.
Ou encore les babyfoot, les tables de ping-pong, ça aussi c’est cool et pour l’économie française c’est bien.
Et puis si ça suffit pas, y a la formation, c’est important la formation, faudra juste relever le challenge de parvenir grâce à un dialogue social de qualité à un consensus équilibré entre celle qui apprend aux collaborateurs à mieux gérer leur stress, à mieux gérer leur temps ou à mieux prioriser leurs tâches.